• 5 - Reflet

     

    5 - Reflet

     

    Elle marche, seule. Lentement, elle met un pied devant l’autre, avance sans vraiment savoir où elle va. Mais quand bien même, elle y va. Dans cette rue bondée où personne ne semble vraiment la voir, elle laisse ses pas la guider vers un endroit qu’elle espère meilleur. Une terre où elle pourrait enfin trouver un peu de paix et de bonheur. Car son cœur étouffe dans ce monde si cruel où les gens se regardent sans se voir, où tout est faux et contrefait. Elle cherche simplement un peu de vérité, un mince espoir qui lui permettrait encore d’avancer.

    Ses yeux balaient le ciel à la recherche d’un rayon de soleil, mais ils ne rencontrent que des nuages qui bougent lentement. Bien trop lentement. Alors, baissant les yeux, elle se met à observer les visages autour d’elle, voulant seulement capter un unique regard dans lequel brillerait une infime lueur de sincérité et d’amour. Pourtant, tout ce qu’elle voit, ce sont des yeux des yeux vides, et aussi gris que le ciel. Ces yeux n’essaient pas de croiser les siens, bien au contraire. Ils semblent à peine la remarquer, comme si elle n’était qu’un vulgaire obstacle entre eux et l’endroit où ils voudraient se poser. Quelque part, c’est peut-être vrai. Peut-être n’est-elle qu’un gêneuse un peu trop naïve pour encore essayer de trouver un sens à sa misérable existence ? Car oui, tous ces gens autour d’elle semble avoir abandonné la quête d’une quelconque raison à leur présence sur cette terre. Alors pour compenser, ils essaient de marcher plus, plus vite. Mais à quoi bon, s’ils ne savent même pas où ils vont et pourquoi ? Elle les trouve bien absurdes, les méprise, toutes ces personnes. Elles se donnent l’illusion d’une vie belle et heureuse, alors qu’elle est en fait creuse et vide de sens. N’ont-ils aucun rêve, aucun espoir ? Veulent-ils simplement continuer d’avancer vers une destination inconnue dont ils ne cherchent même pas à savoir à quoi elle ressemble ? Ils tentent d’y arriver le plus vite possible, mais pour quoi faire au fond ? 
    Elle se sent différente de tous ces êtres-là. Car ses pas sont lents, et son regard attentif. Elle n’essaie pas de fermer les yeux devant la misère des autres, comme tous les font. Non, elle l’affronte, même si cela lui fait mal, et aide ceux qui sont tombés à se relever, quand bien même cela lui coûte des efforts. Elle ne se donne pas l’illusion qu’un jour viendra où, comme par magie, on lui donnera toutes les réponses à des questions qu’elle n’a même pas osé se poser. Elle creuse pour savoir tout ça, elle veut mériter ses réponses. Noircir ses ongles de la terre qu’elle a ôtée de son chemin parce qu’elle l’empêchait de voir la vérité du monde. Et elle sait au plus profond de son cœur qu’elle continuera de creuser jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite, que ses yeux scruteront tous ceux qu’ils rencontreront jusqu’à ce qu’ils trouvent le bon. Celui qui saura lui apporter des réponses.
    Soudain, elle se fige. Devant elle se trouvent deux petits yeux pleins de vie, de couleur, et d’espérance. Elle s’en rapproche le plus près possible, de peur que ce ne soit qu’un rêve ou une illusion. Mais non, ils sont bien là. Un mince sourire étire ses lèvres. Sa lutte est terminée. Une larme de soulagement s’échappe de ses propres yeux si fatigués d’avoir cherché pendant si longtemps. Et elle remarque qu’une larme semblable nait au creux de ces yeux voisins. Eux aussi doivent être fatigués. Doucement, elle tend la main. Elle n’est qu’à quelques millimètres du remède qu’elle cherche depuis de si longues années. Mais tout ce que ses minces doigts rencontrent, c’est une surface gelée et lisse. Un sanglot se coince dans sa gorge.
    Ce n’est que son reflet.

  • Commentaires

    1
    Tal
    Mercredi 8 Avril 2015 à 19:14

    Voilà, je viens enfin rattraper mon retard.


    C'est magnifique comme toujours, Gaby. Tes mots sont incroyablement bien choisi et si juste...                                                                                       Ce texte m'a particulièrement touchée, car il parle de quelque chose de vrai qui concerne chacun de nous, qui remet en cause nos illusions. J'admire ton héroïne. Et cette fin aussi, totalement ouverte comme tu sais si rien faire, mais sans aucune frustration, c'est juste beau.


    Gros bisous!

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :