• Chapitre 5

     

    Chapitre 5 : Plus collant, tu meurs...



     

    Ce jour-là, lorsque Jess ouvrit les yeux, il faisait encore nuit. La jeune fille devina qu'il devait être à peu près cinq heures du matin étant donné qu'elle s'était endormie vers deux heures. Trois heures de sommeil en une nuit. Génial. L'adolescente savait déjà que ses yeux seraient marqués de larges cernes noirs le lendemain. Enfin, le lendemain qui était en réalité dans quelques heures. Mais Jess avait tout de même l'impression d'être hier. Toutes ces émotions qui l'avaient envahie lorsqu'elle avait découvert le sinistre passé de Jacob, et toutes les émotions qu'elle avait vues passer sur le visage de Margaux étaient encore en elle.  

    Oui, la Margaux qui n'avait jamais l'air affecté par quoi que soit, la Margaux qui restait toujours de marbre quelle que soit la situation. Cette Margaux avait alors ressemblé à une flûte de cristal au bord d'un immense gouffre. Prête à se briser au moindre geste brusque. Il n'y avait eu qu'une seule et unique fois où Jess avait son amie dans cet état, et elle préférait ne pas y repenser tant ce jour avait été étrange. Dans le mauvais sens du terme bien sûr. En un sens c'était ce qui les avait rapprochées mais cela avait tout de même été bien triste.
    Ce fut à cet instant précis que Jess fut sortie de ses pensées par un bruit provenant de la cuisine. En entendant ces bruits, sa gorge se serra. Elle savait parfaitement ce qui se passait. Alors, s'armant de son plus beau sourire malgré les larmes qui menaçaient de passer le fine barrière de ses cils, la jeune fille sortit de sa chambre et partit en direction de la grande cuisine de la maison, pour y découvrir sa mère, des cachets et un verre d'eau à la main. Évidemment. C'était comme à chaque fois. Aussi, même lorsque la femme aperçut sa fille entrer dans la pièce, elle n'interrompit son geste qu'un millième de secondes, avant de le reprendre. Encore quelques secondes, et le cachet serait entré dans son organisme, comme tant d'autres gélules auparavant. Mais Jess s'avança d'un geste rapide et prit les pilules dans sa main.
    -" Maman, dit-elle avec le sourire, il faudrait vraiment que tu songes à arrêter de te droguer comme ça. Ce n'est pas parce que tu ne te sens pas bien dans ta vie que tu as besoin de prendre ça. Je suis là, et papa aussi. Alors penses-y."
    Et sans que sa génitrice ait pu faire autre chose que lui jeter un regard vitreux, Jess sortit de la cuisine et retourna dans sa chambre, jetant au passage les quatre cachets dérobés à sa mère dans la cheminée, au milieu des cendres noires et froides, là où personne ne pourrait les retrouver. Et la jeune fille se laisser happer à nouveau dans le tourbillon noir et épais du sommeil qu'elle venait de quitter quelques minutes plus tôt.

    Margaux sentit quelque chose de doux lui caresser la joue, comme un rayon de soleil. C'était tiède et réconfortant. La jeune fille soupira de bonheur en songeant que c'était bien la première fois de sa vie qu'on la réveillait si agréablement. Elle ouvrit doucement les yeux, une forte sensation de bien être l'emplissant de la tête aux pieds. Sensation qui disparut instantanément lorsqu'elle découvrit ce qui lui caressait la joue. Enfin, plutôt qui lui caressait la joue. Paul. Encore et toujours ce crétin de Paul. Et pourquoi était-il entré dans sa chambre ? Et surtout comment ? La fenêtre était fermée, ce qui signifiait que le jeune homme avait pénétré dans sa demeure par la porte, et donc que quelqu'un l'avait laissé rentrer. Une seule personne était capable d'une telle infamie dans le cercle familial de Margaux. Merci Jonas.
    -" Bonjour ma marguerite, lui dit Paul d'une voix niaise. Tu as bien dormi ? J'ai dû obséder tes pensées, comme chaque nuit...
    - Bien sûr Paul, je rêve de toi chaque nuit, tu le sais bien, lui répondit l'adolescente sur le même ton.
    - Ah bon ? s'étonna naïvement le garçon.
    - Oui, chaque nuit je rêve que tu disparais mystérieusement de la surface de la Terre, mais tu sais quoi ? À chaque fois tu es encore là, c'est bien dommage, railla-t-elle. Bon, tu peux m'expliquer ce que tu fais chez moi sans mon autorisation dès sept heures du matin alors qu'en plus on a cours ?
    - Je voulais être tout contre toi dès le matin ma violette, et ton frère m'a laissé entrer. Il m'a demandé si j'étais "le crétin d'hier soir", et c'est curieux mais j'ai tout de suite que c'était moi, je ne sais pas pourquoi. Une intuition sûrement.
    Voilà, le pressentiment de Margaux s'était confirmé. Les deux garçons qui l'agaçaient le plus s'étaient alliés pour l'énerver encore un peu plus. Et le pire dans tout ça, c'était que Paul lui donnait des noms de fleurs. Cela lui donnait littéralement envie de vomir.
    - Alors, premièrement Paul, commença la jeune femme en sortant péniblement de son lit, tu vas arrêter de m'appeler ma marguerite et ma violette sinon je t'en colle une, et deuxièmement tu vas devoir sortir de ma chambre parce qu'il faut que je m'habille. Oh, et ne reviens jamais ici, c'est compris ?
    - Oh, c'est dommage, j'aurais bien voulu te voir t'habiller, je suis sûr que c'est un spectacle très divertissant, répliqua le jeune homme. Mais puisque c'est là ta volonté ma princesse, je m'en vais.
    Margaux soupira de soulagement alors que Paul allait franchir la porte, mais ce dernier s'arrêta subitement et lança :
    - Et j'ai oublié de te dire que la marque d'oreiller sur la joue, c'est super sexy ..."
    Et il sortit de la pièce en ricanant.
    Lorsqu'elle fut bien sûre que le parasite était parti, Margaux se frotta furieusement les joues en grommelant.
    -" Plus collant, tu meurs !"
    Puis elle entreprit de s'habiller. Mais lorsqu'elle eut ôté son bas de pyjama, une douleur à la tête la lança violemment. La jeune fille se sentit tomber et tenta en vain de s'accrocher à quelque chose pour ne pas s'écraser sur le sol. Mais elle ne sentit rien. Aucun choc. Tout fut noir avant même qu'elle ne sente le parquet de sa chambre contre sa peau...

     


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  • Chapitre 4

     

    CHAPITRE 4 : Plus crétin, tu meurs...

     

    Jacob avait les yeux rivés sur la photo que brandissait l’inspecteur. Ce n’était pas possible. Comment cela avait-il pu arriver ? Il était porté disparu depuis sept ans. Mais qu’avait-il fait durant ces sept années ? C’était trop pour lui… Une douleur insoutenable lui comprima les poumons, puis tout fut noir à nouveau…

     

    ***

     Encore une fois, il rêvait. Et tout était toujours blanc. Elle était encore là, allongée, les yeux clos, ses cheveux blond vénitien encadrant son visage aux traits fins. Une larme roula encore une fois sur sa joue et alla s’écraser dans le paysage immaculé. Jacob s’avança prudemment vers elle et s’agenouilla à ses côtés. Cette fille lui faisait penser à un ange endormi, et la voir pleurer le bouleversait, sans qu’il ne sache réellement pourquoi. Le jeune homme sentait que la réponse était là, quelque part au fond de lui, mais il ne parvenait pas à l’atteindre. Pas encore. Il lui effleura la joue et, instantanément, elle se redressa en sursaut et lui jeta un regard paniqué :
    -« N’aie pas peur, murmura-t-il d’une voix qui se voulait rassurante.
    La jeune femme lui répondit par un petit gémissement étouffé, mais cette fois-ci, elle ne recula pas. Lentement, elle leva ses yeux, jusque-là fixés sur le sol, vers Jacob. Ce dernier fit un petit sourire, puis se sentit faiblir. Et il eut à peine le temps d’entendre l’inconnue lui murmurer :
    - À bientôt… »
    Du blanc. Il était encore dans du blanc. Mais cette fois-ci, le jeune homme le savait, il se trouvait dans sa chambre d’hôpital, Jess assoupie à ses côtés. Jacob soupira de bonheur car, pour une fois, la jeune fille ne hurlait pas dès son réveil, ce qui lui fit un bien fou aux tympans. 

    Pour une fois, il put l'observer bien en détail, puisqu'elle ne sautait pas partout. Elle était, comme à son habitude, très maquillée, mais le jeune homme ne doutait pas que même sans maquillage elle demeurait très belle. Ses traits étaient fins et harmonieux et son visage quelque peu enfantin. Elle avait des joues roses et un peu rondes ainsi que des fossettes à chaque coin de sa bouche rose couverte de gloss. La jeune femme avait l'air de dormir profondément, assise au bord du lit, sa tête reposant sur ses bras. Une jeune fille endormie dans une infinité de blanc... Cela lui rappelait quelque chose, mais il ne savait pas exactement quoi. Les mots qui lui venaient à l'esprit étaient "vénitien" et "elle". Encore "elle"... tout cela était curieux. Mais Jacob n'avait pas la tête à réfléchir pour le moment, alors il s'allongea, ferma ses yeux et, encore une fois, le blanc laissa place au noir.

     ***

    Margaux était à moitié assoupie devant la télévision, un pot de glace aux brownies à la main. Elle jeta un regard vers la pendule. 1h15. Il aurait fallu qu'elle aille se coucher, et pourtant elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Chaque fois que ses yeux se fermaient, l'image de Martin Hunebelle l'assaillait de tous côtés. Tout ceci était bien trop sombre... Des meurtres, des disparitions, de l'amnésie. La jeune fille songea avec humour que ce scénario ressemblait énormément à la série télévisée qu'elle était à moitié en train de regarder en ce moment même. Sauf que tout ce qui se passait en ce moment se déroulait dans la vie réelle. Et le pire dans tout cela, c'était qu'elle n'était pas au bout de ses surprises, même si elle l'ignorait encore pour le moment.
    Le cours de ses pensées fut interrompu par la venue de son grand frère dans son espace vital. Jonas, car c'était le nom du grand frère en question, repoussa sans ménagement les pieds de sa petite soeur et s'affala à ses côtés sur le canapé rouge bordeaux de leur salon.
    -" Alors, toujours debout petite soeurette ? demanda-t-il.
    - Non, comme tu peux le constater, je dors à poings fermés dans mon lit", lui répondit Margaux avec ironie.
    Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas Jonas. Et puis, quelque part, elle était obligée d'éprouver un peu d'affection pour lui puisque c'était son frère. Mais parfois il l'agaçait. Elle se demandait comment ils pouvaient être si différents alors qu'ils étaient, normalement, issus des mêmes parents. Leurs différences n'étaient pas au niveau du physique, non, sur ce point là, ils étaient presque identiques, si ce n'est que l'un était un homme et l'autre une femme. Ils avaient les mêmes cheveux bruns et lisses, les mêmes yeux bleus et les mêmes traits du visage. Mais c'était plutôt question caractère qu'on aurait dit deux personnes totalement différentes. Si Margaux était réservée, triste, parfois même un peu blasée et plutôt poète, son frère était très terre à terre, n'avait pas peur de dire ce qu'il pensait et était très sociable. La jeune fille ne l'enviait pas, puisqu'elle savait très bien qu'il était impossible pour elle de devenir comme Jonas. D'ailleurs elle n'en avait pas spécialement envie. Mais, du fait de leurs différences, un espace s'était créé entre eux. Ce qui l'énervait profondément. Elle aurait peut-être pu être un peu plus gentille avec lui, mais elle était comme ça. C'était dans son caractère d'envoyer paître les gens qui commençaient à la percer à jour, qui pouvaient voir à travers sa carapace de silence. 
    -" Haha, très drôle Margaux, rétorqua-t-il. Bon, tu me passes un peu de glace ?
    - Mouais, tiens ! "
    D'un geste mou, la jeune fille lui jeta le pot de crème glacé, déposant au passage quelques tâches de chocolat brunâtres sur le canapé.
    -" Merci, dit Jonas. Papa va râler pour les tâches par contre ...
    - M'en fiche", le coupa sa soeur en fixant de nouveau son attention sur la télévision.
    Mais la jeune fille ne put suivre la série policière que quelques instants, puisque son portable se mit à vibrer dans la poche de son sweat gris. Tout en râlant, Margaux décrocha et se leva de son cocon pour aller s'isoler dans la cuisine. Elle n'aimait pas que quelqu'un se mêle de sa vie privée, même Jonas. Enfin, surtout Jonas en fait. 
    -" Allô ? fit-elle d'une voix fatiguée.
    - Salut chérie, lui répondit une voix qu'elle aurait pu reconnaître entre mille.
    Son sang se glaça. Paul. Comment diable Paul avait-il pu avoir son numéro, et surtout, pourquoi l'appelait-t-il ?! Et qui plus est à plus d'une heure du matin ?
    - Tu as deux secondes espèce de crétin, avant que je ne te raccroche au nez.
    - Je voulais juste te parler de ton petit copain amnésique, là. Jacob, je crois. Enfin... Martin devrais-je dire.
    - Comment es-tu au courant de ça sale parasite ?
    - Et bien figure toi que l'inspecteur en charge de cette affaire, c'est mon père ! Et il m'a parlé d'une gamine brune aux yeux bleus qui n'arrêtait pas de lui lancer des remarques désobligeantes. J'ai tout de suite su que c'était toi. Après tout, il n'y a que toi pour faire cet effet là aux gens, et je sais de quoi je parle.
    Voilà qui expliquait tout. C'était pour cette raison que l'inspecteur Durand lui avait paru antipathique dès la première secondes où elle l'avait aperçu. Il avait la même tête que son idiot de fils, dont elle voyait d'ici le petit sourire en coin lorsqu'il lui avait annoncé la nouvelle.
    - Bon, c'est pas qu'il est une heure et demie du matin et que tu me soules mais j'ai autre chose à faire alors ciao, crétin."
    Et sur ces mots, elle coupa la communication d'un geste rageur. Elle fit volte face pour retourner dans le canapé lorsque son frère apparut sur le seuil de la porte de la pièce.
    -" C'était qui ? demanda-t-il. Un crétin ?
    - Ah ça, plus crétin tu meurs... Enfin bon, occupe-toi de tes affaires Jonas, moi je vais me coucher. Bonne nuit."
    Et elle monta dans sa chambre où elle trouva enfin le sommeil.


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  • Chapitre 3

     

    CHAPITRE 3 : Plus choquant, tu meurs...

     

      Cela faisait maintenant plus d'une semaine que Jacob était à l'hôpital, et toujours aucun souvenir ... sa mémoire était désespérément vide. Et chaque fois qu'il essayait de se rappeler de la moindre chose, la douleur qu'il éprouvait était si violente qu'elle le faisait s'évanouir immédiatement. Il n'essayait donc même plus de se rappeler. Il se disait qu'il pourrait peut-être apprendre à vivre ainsi. Il pourrait se reconstruire une vie et des souvenirs. Après tout, peut-être qu'il avait fait le choix de tout oublier parce que c'était trop dur de savoir. Peut-être qu'il préférait tout simplement ne pas savoir...

    Chaque jour, Jess et Margaux venaient lui rendre visite, la première criant de toutes ses forces en affichant un sourire lumineux, et la deuxième parfaitement silencieuse et aussi parfaitement désespérée par le comportement de son amie.

    Mais il les appréciait pourtant toutes les deux, et ce malgré leurs différences si flagrantes. L'une était effrontée, charismatique, pleine d'humour et un peu trop joyeuse, l'autre belle, mystérieuse, triste et un peu trop renfermée. Jacob se demandait sans cesse pourquoi elles étaient amies. Mais à chaque fois qu'il osait poser la question à l'une ou l'autre des jeunes filles, il n'obtenait pas de réponse. Jess changeait immédiatement de sujet et se mettait à crier encore plus fort, tandis que Margaux faisait mine de ne pas avoir entendu et se murait un peu plus dans sa solitude silencieuse. Le jeune homme avait donc appris à éviter la question.

    Une autre chose dont il devait éviter de parler en présence de Jess était la famille. Il avait remarqué qu'à chaque fois qu'il la mentionnait, la jeune fille s'arrêtait subitement de sourire. Et une Jess sans sourire, c'était comme un ciel sans étoiles. Sombre. Presque contre-nature.

    Et ainsi, peu à peu, jour après jour, il apprenait à les connaître, à savoir ce qui leur plaisait à l'une et à l'autre, ou ce qu'elles détestaient purement et simplement. Et après peu de temps, ces deux jeunes filles furent son seul et unique souvenir. Mais un jour, tout bascula.

     

     

    ***

     

     

    La lumière du soleil levant pénétra lentement dans l'impersonnelle et immaculée chambre d'hôpital que Jacob occupait maintenant depuis une dizaine de jours. Ce dernier était étendu sur son lit et dormait à poings fermés. Il avait l'air paisible... d'ailleurs il l'était sûrement. Mais plus pour longtemps. Pour l'instant, il avait la conscience tranquille, et aucun problème (mis à part la perte de ses souvenirs) dont il devait se préoccuper... même si ce n'était qu'un peu de soleil avant la tempête qui allait s'abattre sur sa vie.

    Toujours était-il que, pour le moment, il dormait. Il rêvait même. Dans ses songes, une jeune fille aux cheveux blond vénitien se tenait seule dans une infinité de blanc. Un sourire triste étirait le coin de ses lèvres roses et gercées. Silencieuse, elle se déplaçait lentement vers Jacob qui la regardait inlassablement, incapable de prononcer un seul mot. Elle plongea ses prunelles dans celle du jeune homme et son sourire se fit plus triste encore. Voyant le désarroi de la jeune femme à son égard, Jacob esquissa un mouvement et, instantanément, elle recula d’un pas. Sans savoir pourquoi, son cœur se serra à cette vision. Il avait comme une impression de… déjà-vu. Comme si cette jeune fille était déjà partie loin de lui auparavant. Jacob éprouvait de l’affection envers elle sans savoir pourquoi. Il s’approcha subitement et la prit dans ses bras, car il en ressentait comme... le besoin. Mais à peine fut-elle enfermée dans son étreinte qu’elle disparut purement et simplement, comme de la vapeur d’eau. Une larme roula sur la pommette du jeune homme, et il s’éveilla en sursaut. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il se retrouva nez à nez avec Margaux qui le dévisageait d’un air inquiet.

    _ Jacob, ça va ? demanda-t-elle lorsqu’elle vit qu’il ouvrait les yeux.

    _ Oui, enfin pas vraiment, je… qu’est-ce qui s’est passé au juste Margaux ?

    _ Pour être franche, je ne sais pas vraiment. Tu gémissais dans ton sommeil. Tu n’arrêtais pas de répéter « elle », « elle », sans arrêt. C’était un peu flippant d’ailleurs…

    _« Elle » ? Pourquoi « elle » ? J’ai dû rêver de quelqu’un, probablement une femme, mais je ne m’en souviens absolument plus. Il y avait juste… du blanc.

    Margaux n’eut pas le temps de répondre à Jacob.

    Un officier de police entra dans la pièce, une pochette emplie de divers documents à la main. Il était grand à la peau mate, et musclé. Des cheveux bruns encadraient son visage aux traits fins. Il dégageait quelque chose de familier et, pour une raison quelconque, Margaux ne l’aimait pas du tout.

    L’homme dévisagea Jacob avec une expression désolée, puis demanda :

    _ Vous êtes ?

    _ Jacob. Je suis Jacob, déclara le jeune concerné. Que me vaut votre visite, monsieur ?

    _ Sûrement rien de bon… grommela Margaux, que le policier gratifia d'un regard noir.

    _ Je vous remercie pour votre commentaire mademoiselle … ?

    _ Margaux, dit-elle simplement, une expression hostile au fond des yeux.

    _ Bien. Margaux, donc, je vous remercie pour votre commentaire sarcastique. Je suis pourtant au regret de vous dire qu’il est véridique.

    La jeune fille leva les yeux au ciel. Les policiers avaient une façon d’enrober les mauvaises nouvelles dans de petites remarques polies qui l'agaçaient profondément. Mais le gardien de la paix ne releva pas et poursuivit.

    _ Je suis l’inspecteur Durand, et je suis en charge d’une affaire un peu particulière. Enfin, plus précisément, j’étais en charge de cette affaire il y a des années, mais on l’a classée au bout de six mois sans l’avoir résolue.

    Jacob, qui commençait également à être agacé par tout cet enrobage, dit d’une voix plus sèche qu’il ne l’aurait voulue :

    _ Allez droit au but inspecteur, je vous prie.

    _ Bien, acquiesça ce dernier. Il s’agissait d’un jeune homme d’une douzaine d’années qui a été porté disparu en 2006, c’est-à-dire il y a sept ans. Il s’appelait Martin Hunebelle et habitait près d’ici, à environ une dizaine de kilomètres. Ses parents ont été assassinés et on ne l’a toujours pas retrouvé. D’ailleurs, nous pensons qu’il a été témoin du meurtre de ses parents, et par conséquent, sans lui, nous ne pouvons pas retrouver le meurtrier non plus.

     Et en quoi tout cela a-t-il un rapport avec Jacob ?

    Les trois personnes présentes dans la pièce se retournèrent en un même mouvement vers la porte pour y découvrir Jess, une expression bien moins joyeuse qu'à l'accoutumée peinte sur le visage.

    _ J’y viens mademoiselle, poursuivit le policier. Il se trouve qu’il y a quelques années, nous avons fait, à l’aide d’un logiciel informatique, le portrait de ce à quoi pourrait, ou aurait pu ressembler ce jeune homme lorsqu'il aurait environ dix-huit ans. Et… en fait ce serait plus simple de vous le montrer.

    L’inspecteur Durand sortit de sa pochette bleu foncé une photographie, qui s'apparentait presque à un cliché anthropométrique. Elle représentait donc un jeune homme, ce qui n’avait rien de choquant. C’était plutôt l'aspect des traits du jeune homme en question qui coupa le souffle aux trois jeunes gens. C’était le portrait craché de Jacob. Trait pour trait. Jacob était en fait Martin Hunebelle, porté disparu depuis plus de sept ans.

    _ Plus choquant, tu meurs… lâcha Margaux, comme à son habitude.

     

     

      


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  • Chapitre 2

     

    CHAPITRE 2 : Plus bizarre, tu meurs…

     

    Il ne bougeait plus et était effondré sur le trottoir en pleine rue devant deux adolescentes complètements paniquées. Des bribes de la conversation des jeunes filles lui parvenaient de temps à autre, mais tout était très confus dans sa tête. La ruelle était mal éclairée et il parvenait à peine à ouvrir les yeux. De ce fait, il ne put pas discerner le visage des jeunes femmes. Il sentit qu’on le prenait par les épaules, puis ce fut le noir complet.

    Tout souvenir déserta sa mémoire à cet instant précis…

     

    ***

     

    La première chose qui lui vint en tête lorsqu’il émergea de son coma fut un seul et unique mot : meurtre. Mais ce mot s’évanouit aussi vite qu’il était apparu pour laisser place à une chambre blanche et très lumineuse. Il était donc à l’hôpital. Génial. Mais d’ailleurs, « Il » ? Qui était il déjà ? Chaque fois qu’il essayait de s’en rappeler, sa tête lui faisait mal, si mal … Tout ça ne présageait rien de bon.

    Mais « Il » eut à peine le temps de se redresser (enfin plutôt d’essayer de se redresser, vu son état) qu’une jeune fille aux cheveux châtains parsemés de mèches blondes et au visage barbouillé de mascara qui avait coulé le long de ses pommettes entra dans un grand fracas.

    _ Margaux, il s’est réveillé ! hurla-t-elle au plus grand désespoir de la tête souffrante du malade.

    N’obtenant aucune réponse, l’adolescente réitéra l’opération avec encore plus de volume sonore :

    _ Margaux, bouge toi ou c’est moi qui viens te chercher et ça risque de saigner ! Allez !

    On aurait dit une gamine impatiente qui faisait un caprice. Il détestait ça. Ce fut à son tour de crier, du moins autant que sa voix fatiguée le lui permettait :

    _ Mademoiselle, je vous ferais remarquer que je viens de sortir du coma, alors pourriez-vous faire un peu moins de bruit s’il vous plaît ?

    Oui, il avait tenté de hurler et le son qui était sorti de sa bouche n’avait été qu’un pâle murmure. Toujours est-il que la gamine aux mèches blondes se retourna et le dévisagea pendant un long moment avant de dire :

    _ Mec, tu viens de l’aristocratie anglaise ou quoi ? T’as vu comment tu parles ? Et t’as quel âge d’abord parce qu’on dirait un vieux papi là ?

    Elle était gonflée. Elle ne le connaissait pas et lui faisait déjà des reproches sur sa façon de parler alors qu’il avait simplement essayé d’être poli avec une inconnue qui, vraisemblablement, lui avait sauvé la vie alors qu’il s'était effondré dans une ruelle. Cette fille promettait. Il regrettait déjà d’être sorti de son coma, qui lui parut tout à coup bien paisible comparé à ce qui était en train de lui tomber dessus.

    _ Je ne viens pas de l’aristocratie anglaise, murmura-t-il. Je viens de…

    Mais d’où venait-il ? Il se sentait presque comme… vide. Quel âge avait-il ? Quel était son nom ? Son passé ? Tout avait disparu… Non…

    Il tenta de toutes ses forces de se souvenir, même si une douleur aigüe l’accueillit lorsqu’il essaya de fouiller dans ses précieux souvenirs.

    _ Ell… murmura-il.

    Puis il retomba une seconde fois dans l’inconscience sous le regard dépité de la jeune fille à son chevet.

     

    ***

     

    Deuxième réveil. Encore une fois, la vive lumière qui régnait dans la pièce le fit plisser ses yeux qui étaient à peine entrouverts. Peu à peu, ses globes oculaires s’habituèrent à la clarté. Cette fois, pas de gamine débile pour lui hurler dans les oreilles dès son réveil. Il y avait bien une fille dans un coin de la pièce pourtant… Elle avait la peau d’une blancheur presque spectrale, des cheveux bruns plutôt communs et dégageait une sensation de… mal être. Elle ne souriait pas. Ses yeux étaient fixés dans le vide, et elle semblait attendre inlassablement. On aurait dit un fantôme. À cette pensée, l’angoisse lui étreignit la gorge, comme un poison mortel, rapide et silencieux. Dans un geste désespéré, il serra de toutes ses forces la mince couverture immaculée qui recouvrait son corps meurtri, ce qui produisit un bruit quasi inaudible de froissement de tissus. À cet instant précis, la jeune fille, qui n’était autre que Margaux, pivota vers lui d’un mouvement sec. Alors il put voir ses prunelles azur le fixer avec intérêt, et la pression se relâcha tout d’un coup. Il lâcha la couverture à laquelle il s’accrochait avec force et prit une grande inspiration, soulagé. Ils restèrent ainsi pendant un long moment, les yeux dans les yeux. Si elle avait des yeux d’un bleu profond, lui les avait d’un marron chaud, presque caramel. C’était… réconfortant.

    Margaux fut la première à détourner le regard. Lui aussi la fixait. C'était toujours pareil. Tout le monde la fixait toujours, comme si elle était une bête de foire. N'y avait-il donc personne pour la comprendre dans ce triste monde ?

    Mais, à la différence des autres, lui n’avait pas cette lueur moqueuse au fond des yeux. Ce garçon était vraiment étrange. Il l’incommodait. Alors elle préférait ne pas le regarder.

    _ Tu… commença-t-elle histoire de combler le silence pesant qui régnait entre eux, qui es-tu au fait ?

    _ Honnêtement ? chuchota-il. Je ne sais pas… Je crois bien que j’ai tout oublié.

    _ Oh, je vois. C’est embêtant.

    _ Plutôt, oui.

    _ Moi, c’est Margaux. Et la fille hystérique qui t’a accueilli à ton premier réveil – enfin si tu t’en souviens – c’est Jess.

    À peine eut-elle prononcé ces mots que son amie entra, comme à son habitude, en trombe. Elle se fendit d’un grand sourire en apercevant le mystérieux inconnu avec l’air bien réveillé.

    _ Oh, mais je vois que tu vas mieux ! s’écria-t-elle. Bon, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter votre discussion, puisqu’il se trouve que j’ai malencontreusement atterri derrière la porte de la chambre, et donc, j’ai décidé que j’allais te trouver un prénom.

    Une grimace se figea sur le visage du patient, surtout parce que Jess criait encore, mais également sur le visage de Margaux, plutôt parce que l’idée de sa meilleure amie lui paraissait un peu débile. Comment pouvait-on choisir un prénom à quelqu’un qu’on ne connaissait même pas ?

    Cependant, Jess, hermétique aux expressions faciales de ses deux comparses, poursuivit ce qui ressemblait fort à un monologue :

    _ Alors, comment pourrait-on t’appeler ? Mmmmm… On t’a trouvé dans une rue et c’était la nuit, donc on va choisir un prénom qui fait un peu peur. Shadow, ça ferait un peu trop « terror of the night » quand même… Et puis c’est plutôt féminin…donc on va dire … Jacob. Voilà, Jacob c’est parfait.

    _ Elle est un peu bizarre, non ? murmura « Jacob » à Margaux.

    _ Ah ça… confirma la jeune fille. Plus bizarre, tu meurs.

     

     


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  • Chapitre 1

     

    CHAPITRE 1 : Plus ennuyeux, tu meurs... 

     

     Encore une fête débile. Margaux les haïssait plus que tout au monde. Au milieu de la musique électro, des garçons inintéressants et des gamines stupides avec leurs mini-shorts, leurs mèches blondes et leurs sourires en plastique figés sur le visage, elle ne se sentait pas à sa place, elle qui était brune, portait seulement des jeans informes et ne souriait presque jamais. Pourtant, une fois de plus, Jess l’y avait trainé avec le même sourire, les mêmes mèches blondes et le même mini short que toutes les autres poupées Barbie qui se déhanchaient en ce moment même devant ses grands yeux bleus. 

    Parfois, elle s’amusait à imaginer tout ce petit monde à sa place, sur une chaise, dans un coin de la salle à toiser les gens qui dansaient sur la piste avec un taux d’alcoolémie bien plus élevé qu’il ne devrait l’être pour des lycéens. Ils étaient méprisables. Comme des petites fourmis à l’haleine répugnante et avec un air trop parfait. À première vue, on pouvait penser que Jess était exactement pareille. Au début, Margaux aussi le pensait. Mais elle avait très vite changé d’avis. Jess l’avait sauvée. 

    Mais actuellement, ce fait était totalement sorti de la tête de Margaux et elle avait donc de folles envies de meurtres à l’attention de son amie.

    _ Plus ennuyeux, tu meurs, lâcha-t-elle dans un soupir en rejetant l’une de ses mèches brunes qui retombait devant ses prunelles azur. Bon, bah je me barre de là moi, hein. 

    Parfaitement consciente que personne ne l’entendait, la jeune fille se tut et attrapa sa veste en cuir noir pour se diriger vers la porte. Mais un grand brun lui barra le passage alors qu’elle se trouvait à quelques mètres seulement de la sortie ô convoitée ! Cela la mit dans une colère noire et ce, d’autant plus lorsqu’elle vit qui était l’individu qui l’empêchait d’avancer vers sa liberté. Paul. Margaux avait les poings qui picotaient furieusement rien que de penser à ce nom. Ce garçon était un parasite pervers, hypocrite, cupide et imbu de sa personne. 

    _ Alors ma chérie, tu nous quittes déjà ? demanda-t-il avec ironie. Quel dommage, tu vas nous manquer…

    _ Dégage Paul, cracha la lycéenne en gardant les yeux rivés vers le sol.

    _ Oh, oups! on dirait que je t’ai mise en colère, fit le jeune homme toujours sur le même ton.

    _ Tu sais, rien que le fait de voir ta sale face à moins de dix mètres de moi me donne envie de vomir, alors bouge, rétorqua-t-elle.

    Sur ces mots, Margaux lui donna un violent coup d’épaule et sortit de la salle sous le regard amusé de quelques-uns des fêtards présents, dont celui plus inquiet de Jess.

    Lorsqu’elle referma la porte derrière elle d’un coup sec, Margaux emplit ses poumons d’une grande bouffée d’air. Elle pouvait encore entendre le son étouffé de la musique dans ce couloir d’immeuble, mais elle se sentait déjà bien mieux. Il n’y avait plus personne pour l’épier, elle, la brune aux jeans informes et à l’expression sauvage. 

    La lycéenne alluma la lumière et descendit les grands escaliers quatre à quatre, le bruit de ses baskets résonnant dans l’immeuble fourmillant de musique. « Encore un peu, un tout petit peu, et je serai dehors » pensa-t-elle en son for intérieur pendant qu’elle descendait les trois étages qui la séparaient de l’extérieur. Du vrai monde. Mais bien évidemment, la lumière s’éteignit avant qu’elle n’atteigne la porte, et la lycéenne dut donc finir sa descente à l’aveuglette. La troisième fois qu’elle se cogna dans un mur, ses nerfs lâchèrent pour de bon :

    _ Saleté de fête pourrie ! Saleté d’ados débiles ! Saleté de lumière ! Tu ne pouvais pas fonctionner encore quelques secondes ?! C’était trop te demander ?! 

    Consciente qu’une fois de plus, personne ne l’entendait, à part peut-être les voisins à qui cela ne devait pas faire vraiment plaisir étant donné l’heure tardive, elle lâcha un énième soupir et parvint enfin à atteindre la porte. Dehors régnait un froid glacial, bien qu’on ne soit qu’au mois d’octobre. Une averse menaçait. On ne voyait pas les étoiles, et on pouvait à peine distinguer les reflets opalescents de la Lune. Margaux devait se dépêcher de rentrer chez elle. Mais à peine eut-elle fait cent mètres que des claquements de talons rapides et familiers ainsi qu’une respiration haletante la rattrapèrent :

    _ Hé Margaux attends ! cria une voix féminine.

    _ Qu’est-ce que tu fais là Jess ? lui répondit la concernée. C’est bon, retourne à la fête, je sais que t’en meurs d’envie, moi je vais rentrer.

    _ Non mais c’est bon, protesta Jess, des fêtes comme ça y en aura des milliers. Je te raccompagne chez toi.

    _ T’es gentille mais c’est pas moi qui ai bu genre trois vodkas et une bière dans la soirée hein ! lui dit Margaux avec humour.

    Jess émit un petit commentaire ironique à son tour et les deux jeunes filles poursuivirent leur route. Mais au détour d’une ruelle, un jeune homme un peu plus âgé qu’elles avec l’air complètement désorienté croisa leur route. Il regarda Margaux d’un air curieux et, avant d’avoir pu prononcer un seul mot, il s’évanouit juste devant les deux amies qui écarquillèrent les yeux.

    _ Ok… alors là, ça craint, lâcha Jess.

     

     

     


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